Des infirmieres praticiennes pretes a rembourser jusqu’a 60 000 pour passer au prive

Il y a quelques semaines, Micheline Duquette Viziau s’est presentee a la Clinique sante praticienne + de Piedmont, un service prive d'infirmieres praticiennes specialisees (IPS) dans les Laurentides, pour un probleme d’arthrose lombaire.

Je n’ai plus de medecin de famille depuis quelques annees et je suis tres satisfaite du personnel lorsque je viens a la clinique, nous a explique cette septuagenaire. J’aime mieux payer et venir ici que d’attendre a l’hopital.

La proprietaire de la clinique, Kim C. Dupuis, elle-meme infirmiere praticienne specialisee, le confirme : le secteur prive est attirant pour les IPS. Actuellement, on a six IPS qui travaillent avec nous, dont trois jeunes infirmieres praticiennes qui ont litteralement quitte le public pour venir avec nous, detaille-t-elle.

 

Son projet de clinique privee se voulait entrepreneurial lors de son ouverture, en 2015, mais en meme temps, j’ai a cœur le public. Voir autant d’IPS vouloir s’en aller au prive, ca me dit qu’il y a quand meme un probleme, parce qu'a la base, ce sont des IPS du public, constate Mme Dupuis.

Depuis 2010, le ministere de la Sante du Quebec soutient financierement, avec une bourse de 60 000 , les candidates au programme d’etudes aux cycles superieurs d’infirmiere praticienne specialisee.

Le gouvernement demande a ces boursieres, une fois diplomees, de travailler trois ans a temps plein dans le reseau public, faute de quoi elles doivent rembourser l'aide financiere recue, le montant du remboursement etant adapte en fonction du temps travaille au public.

Jessica Decarie travaille a la Clinique sante praticienne + de Piedmont depuis qu’elle a obtenu son diplome, en 2024. Comme elle a opte pour le prive des sa diplomation, elle a donc du rembourser la totalite de sa bourse d’etudes de 60 000 .

 

Mme Decarie est une des 158 IPS a avoir fait ce choix au cours des dernieres annees, selon des donnees obtenues par Radio-Canada aupres de Sante Quebec.

Apres 10 ans comme infirmiere a l’urgence d’un hopital des Laurentides, cette mere de quatre enfants y voyait une solution de rechange aux horaires rigides du reseau public et a ceux de son conjoint, surtout apres les annees de pandemie.

J'ai decide de retourner faire ma maitrise pour que ce soit mieux pour ma famille, pour que j'aie un horaire meilleur avec mes enfants, que je sois plus disponible, que ca soit plus simple de coordonner tout ca, explique-t-elle.

Mme Decarie reconnait du meme souffle qu’elle n’aurait pas pu retourner aux etudes a temps plein sans l’aide financiere du gouvernement, qu’elle a finalement remboursee. On n'aurait pas pu y arriver sans avoir une bourse, dit-elle.

Quand ils nous offrent la bourse, on s'engage a travailler a peu pres trois ans a temps plein au public. Jessica Decarie est tout de meme allee vers le prive.

C'est une grosse decision. Il faut bien calculer ses choix, mais la famille l'a emporte sur les 60 000  a rembourser.

 

Plus de 5 millions  rembourses a Quebec
A ce jour, un total de 5,1 millions de dollars en aide financiere ont ete rembourses ou le seront prochainement par des IPS qui ont decide de pratiquer dans le secteur prive.

Le ministere de la Sante et des Services sociaux indique par courriel qu'il doit naturellement revoir certaines cibles et [certains] criteres afin d’assurer que le programme continue de repondre aux besoins actuels et futurs du reseau, notamment en matiere de repartition par specialite et par region.

L’objectif est d’en faire un programme encore plus strategique, durable et equitable, qui oriente les ressources la ou elles ont le plus d’impact, precise une porte-parole.

Au Bas-Saint-Laurent, par exemple, le quart des 40 postes d'IPS sont vacants.

Comme le souligne une porte-parole de la Faculte des sciences infirmieres de l’Universite Laval, la revision du programme de bourses pourrait avoir un impact sur la repartition regionale des etudiantes et des etudiants dans un contexte ou les besoins et les emplois en IPS sont largement situes en region.

Des bourses attitrees aux regions pourraient favoriser l’attraction vers ces milieux, notamment en ce qui concerne les stages, ce qui aurait des effets sur leur planification.

Une citation deCatherine Lille, porte-parole de la Faculte des sciences infirmieres de l'Universite Laval
Selon les donnees les plus recentes de l’Ordre des infirmieres et infirmiers du Quebec, on compte actuellement au Quebec 2057 IPS, dont 1416 pour les soins de premiere ligne. L’objectif de 2000 lance en 2017 par les ministres de la Sante et de l'Enseignement superieur d'alors, Gaetan Barrette et Helene David, a recemment ete atteint.

La prise en charge
Les negociations entre le gouvernement du Quebec et les medecins de famille ont mis en lumiere, ces dernieres semaines, les problemes de prise en charge de plus d’un million de patients sans medecin de famille ni IPS.

L'entente de principe conclue la semaine derniere prevoit la prise en charge volontaire de 500 000 patients orphelins d’ici l’ete prochain. On compte 10 000 omnipraticiens au Quebec.

Durant les negociations, de nombreux medecins ont souligne la necessite d’avoir plus de ressources dans les groupes de medecine de famille (GMF), notamment des infirmieres, autrement c'est de la fumisterie, de la poudre aux yeux de tenter de faire croire a la population que les gens seront affilies alors que le gouvernement ne nous promet pas plus de ressources, avait dit le president de la Federation des medecins omnipraticiens du Quebec, le Dr Marc-Andre Amyot.

Depuis avril 2024, les infirmieres praticiennes specialisees en premiere ligne peuvent inscrire des patients orphelins en attente au Guichet d'acces a un medecin de famille.

A ce jour, pres de 10 250 patients sont inscrits aupres d’une IPS. En comparaison, pres de 6 millions de personnes sont inscrites aupres d'un medecin de famille.

Selon un temoignage confidentiel d’un medecin qui travaille dans un GMF, le depart d'IPS de certains GMF pour aller au prive occasionne une surcharge de travail pour les medecins dans les GMF.

Pour la presidente de la FIQ, Julie Bouchard, la veritable cause reside dans les mauvaises conditions de travail auxquelles les IPS sont confrontees, notamment dans les groupes de medecine de famille (GMF), ou elles sont souvent laissees a elles-memes par leurs employeurs.

Selon elle, tant que le reseau public ne sera pas renforce et que les conditions de travail, dont des horaires plus souples, ne seront pas ameliorees, cette fuite vers le prive ne cessera de s’accelerer. En outre, il ne faut pas diriger les futures IPS en regions, mais plutot former des infirmieres pour devenir IPS en regions , declare la presidente du principal syndicat de personnel en soins infirmiers au Quebec avec 80 000 membres.